Interview sur la diplomatie de l'eau en Afrique
Réalisé dans le cadre du lancement du site HYDRODIPLOMACY.COM
Olivier Cogels, Juin 2023
Qu'est-ce que la diplomatie de l'eau signifie pour vous ?La diplomatie de l'eau revêt deux dimensions : la diplomatie internationale et la diplomatie locale. En ce qui me concerne, je me concentre sur la diplomatie internationale de l'eau. Cette dernière englobe l'ensemble des efforts diplomatiques déployés par les pays et les organisations internationales pour traiter des questions relatives aux cours d'eau et aux aquifères internationaux ou transfrontaliers. Il s'agit essentiellement d'une diplomatie préventive, visant à éviter les conflits liés à l'eau tout en permettant son usage équitable, optimal et durable.Quels sont, d'après vous, les problèmes les plus urgents liés à la diplomatie de l'eau en Afrique ?En Afrique, 80 % des ressources en eau de surface proviennent de dizaines de fleuves et lacs transfrontaliers, ce qui signifie qu'ils sont partagés par au moins deux pays. Par exemple, le fleuve Niger est partagé par neuf pays et le Nil par onze. Cependant, en raison de la rapide croissance démographique et du développement économique, l'eau devient de plus en plus rare dans de nombreuses régions. Il est donc de plus en plus crucial et difficile d'assurer un partage équitable de l'eau entre les pays et entre les secteurs économiques, tout en protégeant l’environnement. De plus, la demande croissante en eau entraîne une augmentation importante des investissements dans des infrastructures pour le stockage d’eau, l'irrigation et la production d'énergie. L'un des problèmes les plus urgents est le manque de coordination de ces investissements, ce qui accentue les tensions géopolitiques et augmente les risques de conflits. Un exemple frappant de cette situation est le Grand Barrage de la Renaissance sur le Nil Bleu en Éthiopie.
Quels sont les bénéfices de la coopération pour la gestion de l'eau entre États partageant un cours d'eau ou un lac transfrontalier ? La coopération transfrontalière permet une utilisation plus efficace et équitable des ressources en eau partagées. Elle prévient les conflits, protège l'environnement et favorise une croissance économique pacifique par le biais de projets et programmes communs. En outre, cette coopération renforce la confiance mutuelle et l'intégration économique régionale, ce qui peut ouvrir la voie à d'autres opportunités de collaboration. Inversement, plusieurs études ont clairement mis en évidence des coûts très importants de la non-coopération.
Comment la diplomatie de l'eau peut-elle aider les pays à coopérer pour prévenir ou résoudre les conflits liés à l’eau ? La diplomatie de l'eau peut aider les pays en mettant à disposition plusieurs instruments et stratégies. Parmi ceux-ci, la négociation de traités internationaux et la création d'institutions communes, telles que la Commission du Fleuve Zambèze (ZAMCOM) ou l’Autorité du Bassin de la Volta (ABV). Ces organismes peuvent ensuite promouvoir et encadrer d’autres initiatives diplomatiques et techniques, comme la négociation et la mise en œuvre de programmes d’investissement conjoints, la création d'observatoires de l’environnement, l'établissement de mécanismes de partage d'informations, la négociation d'accords de partage des bénéfices liés à l’exploitation de l’eau, ou encore la mise en place de mécanismes de gestion coordonnée de cascades de barrages.
Comment pouvez-vous décrire les efforts réalisés jusqu’à présent par les pays pour améliorer la coopération en matière de gestion de l’eau en Afrique ?Depuis le début du vingtième siècle, les pays africains ont progressivement mis en place plusieurs mécanismes de coopération pour mettre en valeur et gérer les fleuves et les lacs transfrontaliers. Une vingtaine d'organismes internationaux de bassin ont d'ores et déjà vu le jour. Certaines régions d'Afrique, comme l'Afrique de l'Ouest, ont réalisé plus de progrès que d'autres, parvenant à établir des institutions solides. Cependant, de nombreux organismes de bassin en Afrique rencontrent des difficultés financières, et des défis importants subsistent. Des efforts considérables sont encore nécessaires pour renforcer les institutions existantes et en créer de nouvelles. À mon sens, le plus grand obstacle est l'insuffisance de volonté politique dans plusieurs régions. Ceci peut être attribué à un manque de conscience que seule une démarche collective permettra aux pays partageant des ressources en eau communes d'assurer la sécurité hydrique, énergétique et alimentaire de leurs populations.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets de la manière dont la diplomatie de l'eau a été mise en œuvre pour résoudre des problèmes d'eau transfrontaliers ?L'exemple le plus remarquable est celui de l'Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS), créée en 1972 à la suite de plusieurs autres initiatives de coopération. Grace à des efforts hydro-diplomatiques réguliers, les pays riverains investissent ensemble et en bonne entente depuis un demi-siècle dans un programme multisectoriel qui comprend la construction de plusieurs infrastructures communes. Les États sont copropriétaires de ces infrastructures et partagent les coûts et les bénéfices. L'OMVS fonctionne à la fois comme un organisme de planification et d'exploitation des infrastructures communes. Un autre exemple est celui de l'Autorité du Bassin du Niger (ABN), qui met en œuvre un vaste programme commun d'investissement négocié et signé au plus haut niveau par l'ensemble des neuf pays riverains du fleuve.
Comment les organisations internationales peuvent-elles encourager la coopération en matière de gestion de l'eau en Afrique ?Depuis les années 1960, diverses organisations, y compris plusieurs agences des Nations Unies, la Banque mondiale, des agences de coopération bilatérales et des grandes ONG, ont joué un rôle essentiel dans la promotion de la coopération sur la gestion de l'eau transfrontalière en Afrique. Leur soutien se manifeste sur le plan technique, financier et politique. Elles encouragent entre autres le partage de connaissances et l'échange de bonnes pratiques à l’échelle mondiale et à l’échelle du continent. En Afrique, des institutions comme l'Union Africaine, la Banque Africaine de Développement, les Communautés Économiques Régionales et le Réseau Africain des Organismes de Bassin promeuvent des accords de coopération et la création d'institutions communes. Alors que beaucoup d'efforts se sont focalisées sur la protection de l'environnement, il serait bénéfique de prêter plus d'attention à la dimension économique et à la coordination des futurs investissements, qui pourraient être des sources de conflits. Je pense notamment qu'il est crucial de soutenir la mise en œuvre de programmes d'investissements multisectoriels communs à l'échelle des bassins. Cette approche permet d'éviter l'écueil de projets individuels non coordonnés. Enfin, il est important de souligner le rôle que peuvent jouer les organisations internationales en termes de formation en diplomatie de l'eau.
Selon vous, quel est le rôle de la diplomatie de l'eau dans un contexte de changement climatique ?Pour les diplomates de l'eau, ce qui importe, ce sont les variations saisonnières et interannuelles des régimes hydrologiques des cours d'eau. Le rôle de ces diplomates est principalement de négocier des solutions conjointes pour faire face et s'adapter à ces variations, qui ont toujours existé, mais qui peuvent être exacerbées par le changement climatique. Un défi majeur est la nécessité de renforcer la résilience des communautés face à des fluctuations de plus en plus imprévisibles. Les régimes hydrologiques de nombreux fleuves africains sont en effet en train de changer rapidement, principalement à cause du développement de l'agriculture irriguée, de la déforestation, de la construction d'infrastructures, de l'urbanisation, etc. Le changement climatique n'est qu'un facteur parmi d'autres, et pas nécessairement le plus déterminant. Malheureusement, il est parfois plus facile de blâmer le changement climatique que de reconnaître une mauvaise gestion. Dans le domaine de la diplomatie de l’eau, il est primordial de savoir faire la part des choses à cet égard.